Voici ce qu’écrit soeur Faustine à l’intention de son père spirituel en mai 1938:
« J’ai alors entendu ces mots : « Je me réjouis que tu aies agi comme ma véritable fille. Sois toujours miséricordieuse, comme moi je suis miséricordieux. Aime tout le monde, même tes plus grands ennemis, pour l’amour de moi, afin que ma miséricorde puisse se refléter dans ton coeur dans toute sa plénitude. » (PJ 1695)
Méditation :
Dans le passage qui précède, soeur Faustine raconte un épisode de vie quotidienne : une aigreur, qui empoisonne une relation entre elle et une amie, s’est développée à partir d’un contentieux. Chacune d’elles attendait une reconnaissance de l’autre mais tout a tourné à l’hostilité. Soeur Faustine courtcircuite cette hostilité par une oeuvre de miséricorde spontanée, dans la charité et la sincérité.
Finalement, cette miséricorde au quotidien est peut-être ce qui est le plus compliqué à vivre. Et surtout pour nous, car avec la permissivité de notre époque nous avons développé des attitudes qui nous servent de prétextes pour sauvegarder notre moi face à l’autre. Cette façon moderne de vivre l’orgueil et l’égoïsme nous rend impatients en tout : tout nous est dû et si les relations ne contentent pas notre désir immédiat, la société elle-même nous pousse vite à opter pour les séparations, pour les ruptures de contrats de tous ordres. Le couple se sépare, les employés quittent leur travail, et nos sociétés vivent sur un système de turn-over admis de tous mais qui mène souvent à des catastrophes personnelles, familiales, professionnelles, et même dans les communautés de l’Église.
Le Seigneur nous dit autre chose : il nous dit patience et persévérance. Il nous suggère l’oeuvre de miséricorde, qu’il oppose au regard psychologique dans la gestion des conflits entre deux orgueils et à la tendance juridique d’avoir toujours un avocat-conseil sous la main pour sauver chacun ses intérêts. Le Seigneur nous montre toujours que la Miséricorde ne vient pas de nous mais seulement de Lui. Il ne nous demande pas de nous maîtriser, mais il nous demande de faire appel à lui afin qu’il vienne en nous pour agir lui-même. Lui seul peut maîtriser les démons. Pas nous.
Nous agirons donc au quotidien comme Jésus agirait : dans la patience, l’écoute et le service de l’autre. Le psaume 130 le dit autrement : « Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ». Silencieuse en Dieu, au lieu de chercher à affirmer notre moi. L’idée d’être le miroir de l’âme du Seigneur dans sa Passion, lui qui ne combat pas, lui qui se laisse mener selon la volonté du Père là où il ne voudrait pas aller, doit nous servir de référence chaque jour. Nous serons au-delà de l’armistice qu’on signe avec l’autre, avec notre conjoint, notre parent, notre enfant, notre collègue de bureau et même avec le bénévole qui prend plus de place que nous dans l’Eglise. Cette attitude doit être adoptée comme un état permanent : l’âme égale et silencieuse ne puise que dans le coeur de Jésus sa manière d’appréhender le monde et de considérer l’autre sans désormais avoir à se frotter ni à se piquer à lui. Et cette manière d’être dans une douceur particulière et surprenante convertit l’âme de l’autre, même si cela prend du temps. On voit que le Seigneur nous utilise dans ces moments-là pour passer à travers nous et atteindre le coeur de nos frères.
Pensons que Jésus désire se contempler lui-même dans notre âme. Il faut que nous puissions dire dans ces moment-là de grâce : Jésus peut se voir en moi. Jésus peut en ce moment se regarder laver les pieds de ses serviteurs. Il faut que nous renoncions à une grande part de nous-mêmes pour cela, que nous cessions de revendiquer, même secrètement, une quelconque reconnaissance de la part des autres de ce que nous sommes, de ce que nous avons, de ce que nous faisons.
Nous nous contenterons de sourire secrètement au visage de Dieu en nous. Lui se regardera en nous et nous préparera délicatement jour après jour à croiser notre regard avec Lui, en toute vérité, au jour de notre Rencontre dans le Ciel : comme saint Paul l’écrit aux Corinthiens, « nous voyons actuellement de manière
confuse, comme dans un miroir. Ce jour-là, nous verrons face à face ; ce jour-là je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu. » (1 Co 13, 12)
Fr. Pierre Sokol et Isabelle Kamaroudis
relecture par le Père Dominique Aubert